Luc Garcia Lors de son voyage de retour de Yalta, Roosevelt a pris deux décisions. La première fut d’autoriser son conseiller de toujours et fidèle lieutenant, Harry Hopkins, à rentrer de son côté. La seconde nous intéresse plus particulièrement : recevoir les Al Saoud sur son bateau. Ceux qui n'étaient que de petits princes wahhabites en leurs contrées, ont compris l'intérêt de venir discuter business sur le bateau du président fatigué et amaigri par des semaines de voyages et des milliers de kilomètres parcourus.
Du carburant Al Saoud Un paramètre avait pesé de tout son poids de brent crémeux et collant dans la stratégie militaire de la Seconde Guerre mondiale : le carburant. Tout occupé à bâtir ce qui deviendrait les Nations Unies comme testament d'une mort qui arriverait quelques mois plus tard, sans avoir vu la fin d'un conflit dans lequel il fut un acteur majeur, Roosevelt n'en avait pas moins gardé le pragmatisme des bons comptes. Partant, l'Arabie Saoudite des Al Saoud a longtemps joué un jeu bizarre et le joue encore. Ses princes, nombreux, sont des financiers aguerris, clients d'avions de chasse de la maison Dassault ou de la maison d'en face, Loockheed Martin, et fixent les prix du baril en fonction du vent qui tourne. Le levier est économiquement très simple : fermeture du robinet pour faire monter les prix ; ouverture du robinet pour les faire descendre. Mais la péninsule arabique n'est pas la seule à être bien née en matière d'énergie fossile. Les Amériques aussi. Et, dans les Amériques, le Venezuela ne l'est pas moins. Du carburant vénézuélien On a beaucoup parlé du grand ami vénézuélien de M. Mélenchon que fut feu M. Chávez. On a aussi parlé du chávisme et des chávistes. On a disserté sur le comment du pourquoi de la politique du Presidente, qui arrosait tout azimut ses terres en pétrodollars. Beaucoup ont été prêts à fermer les yeux sur son style pour le moins singulier. N'en restait pas moins que Petróleos de Venezuela SA, la compagnie pétrolière appartenant à l’État vénézuélien, ne pompait pas seulement du pétrole. Elle pompait aussi beaucoup, énormément, miraculeusement, une masse colossale d'argent, qui n’arrosait pas seulement le pays en actions de bienfaisance. Or, désormais, les prix du pétrole rendent les exportations vénézuéliennes beaucoup moins attrayantes. Les inoxydables Al Saoud ont bien réduit le flot de barils et les prix ont eu beau sensiblement augmenter, le Venezuela pour sa part, est sur la paille. Le pays est en effet confronté à l’essoufflement social caractéristique des mono-économies, lorsque l'on ne produit rien mais que l'on thésaurise sur une denrée de première nécessité soumise aux aléas, présentement saoudiens – car, dans le paysage pétrolier, eux seuls comptent. Voilà ce qui arrive aussi quand un pouvoir nationalise à tour de bras des activités de matières premières qui n'offrent aucun amortisseur économique. Les enveloppes de pétrodollars Mais un autre puissant facteur entre en jeu. On connait le Zeus d’André Gide dans son Prométhée mal enchaîné (1). Il fait tomber une enveloppe à terre, quelqu’un la ramasse, à qui Zeus demande de mettre une adresse vers laquelle l’expédier, ce que s’emploie à faire l’obligé qui en retour reçoit de Zeus une gifle. Clac. Joli retournement. Chávez, nouveau Zeus, a passé son temps à gifler ceux qui déplacent les enveloppes de billets pour les faire circuler. Certains ont profité de la redistribution des richesses ? Le passage fut temporaire. Le giflé, c'est chacun en tant qu’il s’est trouvé piégé dans le petit stratagème de Zeus-Chávez. Généreux, ivre de liberté, celle plutôt crasse de croire que le circuit fermé de l'argent dans son pays pourrait lui éviter de commercer avec d'autres pour favoriser une autosuffisance meurtrière, Le président Chávez a répandu des pétro-billets sous enveloppes. Et maintenant, vient l'heure des gifles, dûment attribuées par son successeur dans la continuité à la présidence, Maduro. La redistribution des richesses nationalisées se chiffre actuellement à plus de 50 morts en quelques mois dans les rues. Des exemples comme ceux-là sont nombreux en Amérique latine. Le caoutchouc brésilien serait aussi parlant que le pétrole vénézuélien. Chaque fois, l'enjeu est de fermer des frontières pour n'en laisser filtrer que des rentes à l'aller et rien du tout en retour. L'abolition de l'État de droit accompagne finalement très bien cet étourdissement populaire qui veut croire qu'il retrouve la main sur l'enveloppe. Or, un État qui n'échange rien est un État qui est mort. Vendre du pétrole ne veut pas dire faire commerce du pétrole. D'ailleurs, les Al Saoud l'ont bien compris qui investissent en Europe et spécialement en France : les pétrodollars seuls, planqués dans des tiroirs, les asphyxieraient. Le circuit fermé de la dette Lacan s'est saisi de la question de l'échange dans cette parabole gidienne et fait remarquer : « Zeus tente d'y participer [au circuit de l'échange] comme par effraction, en engendrant une sorte de dette à laquelle il ne participe en rien » (2). Voilà Chávez. Voilà la combinaison politique actuelle, où les largesses économiques – s’appuyant sur des conceptions aussi erronées que dispendieuses – fricotent avec le totalitarisme, tout en prétendant que l'on peut vivre d'amour et d'eau fraîche épurée dans des caves. Si jadis on disait souvent qu'une évolution sociale ou économique aux États-Unis précédait de dix ans son inscription comme pratique en Europe, M. Mélenchon a fait fondre ce délai quant à l'Amérique latine en inscrivant immédiatement une proposition mise en œuvre présentement au Venezuela et d’où s’origine une partie des tensions actuelles : la convocation d'une l'Assemblée constituante. Par quel miracle, alors même que le PDG de la France insoumise claironnait que cette mesure serait libératrice, alors même qu'il menaçait M. Macron de prendre Matignon, personne n'a songé à lui faire remarquer qu'une Assemblée constituante est toujours au profit de celui qui l’initie. Dès lors, on notera l'admirable confusion sur laquelle danse Mélenchon et du même pas le successeur de Chávez : quand ils disent « convocation de l'Assemblée constituante », beaucoup entendent « convocation des États généraux ». Et beaucoup encore entendent « dynamitage ». Alors qu'il faudrait entendre : même si ton petit cœur bien élevé ramasse l'enveloppe des billets à terre pour la passer à qui de droit, n'oublie pas qui l’a posée là et qu’elle l’a été pour te piéger. 1 : Gide A., Le Prométhée mal enchainé, Gallimard, Paris, 1925. 2 : Lacan J., Le Séminaire, Livre V, Les formations de l'inconscient, Texte établi par J.-A. Miller, Seuil, Paris, mai 1998, p. 51-52. La section commentaire est fermée.
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